Compte-rendu conférence de Michèle Boulva

Publié le par Guido De Volder

Compte-rendu de la conférence de Mme Michèle Boulva, donnée le 21 novembre 2006, à la Paroisse Saint-Jude de Ahuntsic, à Montréal.


Après 18 ans de journalisme, Michèle Boulva est depuis 2 ans directrice de l’Office catholique pour la Vie et la Famille (l'OCVF), organisme parrainé par la Conférence des Évêques catholiques du Canada (la CECC)
de même que par les Chevaliers de Colomb du Canada. De par son mandat l’OCVF est sensé de faire la promotion de la vie et de la famille à partir de la conception jusqu’à la mort naturelle.


Mardi soir, le 21 novembre 2006, Michèle Boulva était à Montréal pour nous parler de l’euthanasie et de l’aide au suicide. Il y a, au Canada, quelques cas célèbres qui pourraient éventuellement devenir des précédents si nous ne demeurons pas vigilants dans cette matière. Michèle Boulva cite, entre autres, celui de Sue Rodriguez, souffrante de la maladie de Lou Gehrig, qui était allée jusqu’à la Cour suprême du Canada pour revendiquer le droit de mourir. Puis il y a eu le cas de Robert Latimer, le fermier du Saskatchewan, qui avait
 euthanasié sa fille, souffrante de paralysie cérébrale, ou encore celui de Marielle Houle qui a tué son fils Charles Fariala. Michèle Boulva fait brièvement allusion au projet de loi C-407 de Mme Francine Lalonde, députée du Bloc Québécois à la Chambre des communes, mort au feuilleton en novembre 2005 suite aux élections et au changement de gouvernement qui ont eu lieu depuis lors.

 

Vision chrétienne


Ce qui intéresse Michèle Boulva, avant tout, c’est la vision chrétienne
à porter sur cette problématique. Elle fait référence à un échange qui l’avait fort impressionnée, entre Bernard Derome et le Dr Ayoub, sur Radio-Canada lors de l’agonie de Jean-Paul II, lorsque le Dr Ayoub avait remarqué que non seulement Jean-Paul II nous avait appris à vivre mais qu’il était, à ce moment précis, en train de nous apprendre aussi à mourir.


Selon Michèle Boulva une conversion de coeur
est donc nécessaire pour aborder une problèmatique qui est bien entendu lié au vieillissement de la population dans les contrées de l’Occident. Ce vieillissement provoque à son tour toute une série de conséquences telle qu’une hausse substantielle des coûts de la santé faisant en sorte que la demande de décriminaliser l’euthanasie devienne pratiquemment une nécessité économique. Couplée à l’importance donné à la qualité de la vie, de nos jours, la vision utilitariste de la vie semble être fondée sur de très fortes assises.


Cette vision utilitariste est très présente dans les deux seuls pays qui ont, jusqu’à présent, décriminalisé l’euthanasie et l’aide au suicide, c’est-à-dire la Belgique et la Hollande. En Hollande par exemple, le Protocol de Groningen
permet l’infanticide de nouveau-nés handicappés et en Belgique les gens âgés ou malades ont peur des médecins jusqu’au point où ces derniers sont parfois obligés de s’afficher comme étant pro-vie pour gagner et garder la confiance de leurs patients. De plus, les gens qui s’opposent à l’euthanasie y portent des bracelets pour indiquer qu’ils ne veulent pas être euthanasiés un jour.

 

Comment alors donner un sens chrétien à la souffrance?

 

 

Lorsque le sens des mots est tellement modifié que le langage risque de devenir ‘politiquement correcte’ jusqu’à en perdre toute raison, par exemple, lorsqu’il s’agit d’établir la différence entre l’euthanasie active qui est un meurtre et l’euthanasie passive tel que le refus de l’acharnement thérapeutique qui ne l’est pas, l’on se rend compte que la ligne de démarcation soit souvent très mince et difficile à distinguer. Une raison de plus pour que l’on maintienne bien le sens des catégories philosophiques dans leur propre perspective.

 

Qu’est-ce que l’euthanasie autrement que de tuer volontairement, supposément par compassion et de façon active, par injection par exemple, ou par omission lorsqu’il s’agit de l’administration de nourriture et de l’eau? Les soins palliatifs peuvent jouer un rôle important dans l’administration d’analgésiques et le refus de l’acharnement thérapeutique.

 

Dans le cas de l’aide au suicide, une tierce personne aide une personne à mourir ou à se tuer. La loi actuelle préscrit pour ce type de meurtre de 1er degrée, prémédité, une peine à perpétuité. Au 2ème degrée, le Code criminel du Canada prévoit une peine maximale de 25 ans. L’aide au suicide est punie d’une peine de 14 ans maximum.

 

L’Église catholique, bien qu’elle prône la responsabilité mutuelle, ne fait pas de distinction morale entre l’euthanasie et l’aide au suicide. Elle nous enseigne que l’on n’a pas d’autorité absolue sur la vie. La mort n’est donc pas un droit mais seulement un passage à la vraie vie où celle-ci est perçue comme un don. Nous sommes donc bénéficiaires et donneurs de vie.


Quelles seraient, alors, les conséquences
d’une éventuelle légalisation de l’euthanasie et de l’aide au suicide? Dans un contexte d’augmentations continues des coûts de la santé, est-ce que le devoir  de mourir ne risque-t-il pas d’exercer une pression insoutenable sur beaucoup de malades et de vieillards?

 

Est-ce que le rôle du médecin ne risque-t-il pas d’être miné, ou les soins palliatifs marginalisés? Ne risque-t-on pas de descendre lentement sur une pénible pente glissante où la diminution du respect de la vie humaine devient une évidence inéluctable?

 

Quelles sont nos obligations envers la personne mourante? Quels sont les traitements qui offrent espoir et bienfaits? Ou inconvénients? L’abstinence de traitement dans le but d’aider le patient à mourir naturellement, est-elle aussi une forme d’euthanasie? Ou est-ce plutôt l’intention - l’élément-clé entre laisser et faire mourir - de provoquer la mort qui compte?

 

Mesures de précaution

 

Le testament biologique, par exemple, donne certaines directions à suivre pour ce qui est du niveau du traitement à préscrire et des risques à prendre, car différentes interprétations sont toujours possible. Ou, on peut proposer une délégation du pouvoir, ce qui serait un moyen plus prudent vu qu’on serait libre de désigner un délégué, porteur de nos valeurs ce qui varie évidemment d’une province à l’autre.

 

Éviter de refuser à l’avance tout traitement et laisser suffisament de lattitude aux possibilités qui se proposent exige un minimum de clarté et de précision dans la signification des mots.

 

Mieux vaut qu’une tierce personne soit toujours impliquée pour que la relation de confiance ne soit jamais brisée. De plus, une protection légale demeure nécessaire pour assurer que la vie soit toujours respectée et ne jamais banalisée.

 

Un éloge de la souffrance, alors?


Non, car tout doit être fait pour la soulager pour qu’elle puisse être porteuse de sens. Le sens qu’une personne donne à sa souffrance la rendra portable. Michèle Boulva se rappelle l’expression du Cardinal Léger : « Que de souffrances inutilisées! ».

 

C’est dans le Christ que la souffrance de l’humanité trouve sa joie profonde. Jean-Paul II disait que c’est par le Christ et dans le Christ que s’éclaire l’énigme de la souffrance qui nous écrase en dehors de l’Évangile.

 

Le soulagement de la douleur reste donc possible – jusqu’à 95 % même selon les spécialistes - par une approche de compassion où l’accompagnement est la seule garantie contre l’exclusion sociale que représente l’euthanasie permettant le patient de mourir dans la dignité. Dans ce sens-là, l’euthanasie ne peut donc être la dernière étape des soins palliatifs.

 

Solution du Dr Joseph Ayoub :

amour et compassion

 

Michèle Boulva réfère maintenant à ce que le Dr Joseph Ayoub, éminent médecin et spécialiste du discernement éthique face à la souffrance et la mort, en pense.

 

Le Dr Joseph Ayoub est directeur du programme d'oncologie médicale à l'Université de Montréal et des program-mes d'enseignement médical au CHUM et hémato-oncologue au CHUM.

 

Dr Ayoub est un grand défenseur de la Vie. Il a témoigné, en avril 2005, de son grand respect pour la vie à toutes ses étapes, sur les ondes de Radio-Canada, à l’occasion de l’agonie et du décès de notre bien-aimé Pape Jean-Paul II. Il fut également celui qui a soigné le regretté M. Robert Bourassa, ancien Premier Ministre du Québec. Il est particulièrement bien placé pour répondre à toute problématique qui touche au respect de la vie des malades et des infirmes.


Le Dr Ayoub constate, en premier lieu, que simultanément au développement exceptionnel de la médecine, il y a eu une diminution progressive de l'humanisation des soins de santé ainsi qu'un besoin accru de compassion de la part des intervenants des soins de la santé. C'est dans ce contexte que se situe le sujet de son dernier livre, une compilation de chroniques hebdomadaires publiées sous le titre Dialogues
dans le quotidien La Presse entre septembre 92 et février 98, synthétisée dans un livre par sa fille Patricia et éditée par Anne Sigier sous le titre: Guérir parfois, soulager souvent, réconforter toujours


Selon le Dr Ayoub, le contrôle de la douleur dépend beaucoup du sens donné à sa souffrance par le patient ou le malade. Ce qui est souvent le plus dur à supporter pour une personne au niveau psychologique, physique et spirituel, lorsqu'elle apprend qu'elle est gravement malade, c’est sa détresse existentielle, un
sens d'humiliation et le sentiment de ne plus être dans la course ce qui rend difficile sa réconciliation avec la vie.

 

C'est là justement que la dimension spirituelle que le malade donne à sa condition peut provoquer un tournant et un dépassement de soi-même essentiels pour rétablir un équilibre spirituel et physique. Seule l'irruption spirituelle peut à ce moment-là neutraliser la souffrance psychique et physique.

Prenons l'exemple de la vision de la souffrance de notre bien-aimé Pape Jean- Paul II lorsqu' il publie, en février 1984, son encyclique Salvefice doloris traitant du sens chrétien de la souffrance. Selon Jean-Paul II, il faut surmonter le sens de l'inutilité de la souffrance. Dans son dernier livre, Mémoire et Identité, , distillé d'une série d'entretiens qu'il a eus en 2002, Jean-Paul II stipule que souffrir par amour, comme l'a fait le Christ, peut provoquer de la joie.


Le 1 février 2005, Jean-Paul II
devient lui-même un collaborateur privilégié du salut des âmes mettant l'accent sur l'utilité des souffrances dans l'économie de la grâce. Lorsque, par la maladie, la dignité humaine est blessée, il s'agit non seulement d'une dignité éthique mais aussi ontologique.

Selon Jean Vanier toute personne est une histoire sacrée et des soins palliatifs tels que la musique et les fleurs sont appropriés pour soulager sa souffrance.


Dans L'Evangile de la Vie
(publié en 1995), Jean-Paul II rejette fermement l'acharnement thérapeutique, comme l'a fait la philosophe Simone Weil d'ailleurs, qui, elle aussi, préfère donner un sens chrétien à la souffrance pour la remédier plutôt que de choisir l'euthanasie ou le suicide assisté comme alternatives.

 

L'on peut alors se poser la question sur le pourquoi de cet engouement pour des solutions tout aussi drastiques que finales. Lorsque la dignité humaine est bafouée jusqu'au point où le malade perd le contrôle adéquat sur sa condition de vie, les soins palliatifs peuvent justement offrir une alternative qui demande des efforts considérables, certes, du patient, des médecins et de sa famille mais qui aident aussi les mourants à vivre jusqu'au bout.


Les sondages effectués auprès des bien-portants donnent selon le Dr Ayoub une mauvaise image de ce que les malades désirent vraiment. L'homicide par compassion ou le suicide assisté - pensons à Manon Brunelle (ndlr) - peuvent provoquer la mort tout autant que de nier et de refuser la vie. Ne serait-il pas mieux, au contraire, de permettre la vie de se laisser s'en aller jusqu'à son
accomplissement naturel, conclut l le Dr Ayoub ?


Dr Ayoub réfère à nouveau à
Jean Vanier selon qui seulement l'amour et la compassion envers le malade peuvent neutraliser efficacement l'endurcissement des coeurs devenu si commun de nos jours. Dans la philosophie des soins palliatifs seul l’amour peut d donner sens à cette vie jusqu’au bout. Néanmoins la souffrance reste un mystère si on ne parvient pas à unir nos vies et nos souffrances à celles du Christ.

 

Guido De Volder,

Montréal, le 26 novembre 2006.

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E
<br /> <br /> <br /> <br /> <br /> OUI à l'aide au suicide, mais NON à l'euthanasie<br /> !<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> Au sujet de la différence entre l'euthanasie et l'aide au suicide, il faut distinguer entre les arguments juridiques, éthiques et religieux. On ne peut pas simplement affirmer sans nuance<br /> qu'il n'existe pas de différence entre les deux : dans un cas c'est le patient lui-même qui s'enlève la vie (aide au suicide) alors que dans l'autre c'est le médecin qui la retire. Il faut<br /> d'abord préciser sur quel terrain (juridique, éthique ou religieux) on tire notre argumentation. Si l'on se situe sur le terrain de l'éthique, on peut raisonnablement soutenir qu'il n'existe pas<br /> de différence. Cependant, si l'on se situe sur le terrain juridique, il existe toute une différence entre l'euthanasie (qualifié de meurtre au premier degré dont la peine minimale est<br /> l'emprisonnement à perpétuité) et l'aide au suicide (qui ne constitue pas un meurtre, ni un homicide et dont la peine maximale est de 14 ans d'emprisonnement). Dans le cas de l'aide au suicide,<br /> la cause de la mort est le suicide du patient et l'aide au suicide constitue d'une certaine manière une forme de complicité. Mais comme la tentative de suicide a été décriminalisée au Canada en<br /> 1972 (et en 1810 en France), cette complicité ne fait aucun sens, car il ne peut exister qu'une complicité que s'il existe une infraction principale. Or le suicide (ou tentative de suicide) n'est<br /> plus une infraction depuis 1972. Donc il ne peut logiquement y avoir de complicité au suicide. Cette infraction de l'aide au suicide est donc un non-sens.<br /> <br /> En revanche, l'euthanasie volontaire est présentement considérée comme un meurtre au premier degré. Le médecin tue son patient (à sa demande) par compassion afin de soulager ses douleurs et<br /> souffrances. Il y a ici une transgression à l'un des principes éthiques et juridiques des plus fondamentaux à savoir l'interdiction de tuer ou de porter atteinte à la vie d'autrui. Nos sociétés<br /> démocratiques reposent sur le principe que nul ne peut retirer la vie à autrui. Le contrat social « a pour fin la conservation des contractants » et la protection de la vie a toujours fondé le<br /> tissu social. On a d'ailleurs aboli la peine de mort en 1976 (et en 1981 en France) ! Si l'euthanasie volontaire (à la demande du patient souffrant) peut, dans certaines circonstances, se<br /> justifier éthiquement, on ne peut, par raccourcit de l'esprit, conclure que l'euthanasie doit être légalisée ou décriminalisée. La légalisation ou la décriminalisation d'un acte exige la prise en<br /> compte des conséquences sociales que cette légalisation ou cette décriminalisation peut engendrer. Les indéniables risques d'abus (surtout pour les personnes faibles et vulnérables qui ne sont<br /> pas en mesure d'exprimer leur volonté) et les risques d'érosion de l'ethos social par la reconnaissance de cette pratique sont des facteurs qui doivent être pris en compte. Les risques de pente<br /> glissante de l'euthanasie volontaire (à la demande du patient apte) à l'euthanasie non volontaire (sans le consentement du patient inapte) ou involontaire (sans égard ou à l'encontre du<br /> consentement du patient apte) sont bien réels comme le confirme la Commission de réforme du droit au Canada qui affirme :<br /> <br /> « Il existe, tout d'abord, un danger réel que la procédure mise au<br /> point pour permettre de tuer ceux qui se sentent un fardeau pour<br /> eux-mêmes, ne soit détournée progressivement de son but premier,<br /> et ne serve aussi éventuellement à éliminer ceux qui sont un<br /> fardeau pour les autres ou pour la société. C'est là l'argument dit du<br /> doigt dans l'engrenage qui, pour être connu, n'en est pas moins<br /> réel. Il existe aussi le danger que, dans bien des cas, le<br /> consentement à l'euthanasie ne soit pas vraiment un acte<br /> parfaitement libre et volontaire »<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> Eric Folot<br /> <br /> <br /> <br /> <br />
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